Je fais partie d’une génération bénie du sport automobile. Pendant mon enfance, j’ai grandi avec trois légendes : Valentino Rossi en MotoGP, Sébastien Loeb en rallye et Michael Schumacher en Formule 1. Ce dernier est longtemps resté « le monsieur en rouge » dans ma tête jusqu’à ce que je retienne son « vrai » nom à quatre ans, c’est pour dire à quel point j’aime ce sport depuis toute petite avant même que je ne sache parler.
Depuis plusieurs années, je me sens trahie par ce sport qui fait pourtant partie de moi. Je ne vais pas m’attarder ici sur les nombreux débats qui agitent la Formule 1 depuis 2010 : sécurité, place des femmes, pilotes payants, domination sans partage… mais je vais me concentrer sur le fait que la Formule 1 se transforme petit à petit en cirque sans public.
En 2013, la Formule 1, moribonde sur TF1 est devenue payante en passant sur Canal + alors que cela faisait des années que l’on n’avait pas eu autant de Français sur la grille (même si Jules Bianchi n’était pas encore confirmé à l’époque du rachat des droits télévisuels). A ce moment-là, je suis passée du coté illégal – l’illegal fanbase d’après la GPDA [Grand Prix Drivers Association]- de la force en regardant la Formule 1 en streaming en 280p, avec une bonne minute de retard sur le direct (très embêtant quand on fait du live tweet) et des beugs à répétitions. Si je n’étais pas aussi passionnée -ou masochiste, à vous de choisir- j’aurais déjà jeté l’éponge depuis un moment, et je sais que c’est le cas de nombreux Français.
On dit la F1 moribonde, obsolète et qu’elle nécessite des changements drastiques. La FIA, en accord avec les directeurs d’écurie – c’est important pour la suite- a décidé de changer le format des essais qualificatifs (peut-être l’une des seules choses qui ne posaient pas de problème auparavant) afin de mettre en place un système de « mort subite ». J’étais déjà sceptique quant à cette solution qui puait le cache-misère : bon sur le papier et pourri en pratique. Et je ne m’étais pas trompée.
La mise en place de ces essais au Grand Prix d’Australie en 2016 a été une véritable catastrophe, une amie Australienne me confiant qu’elle passait plus de temps sur son téléphone pour suivre les qualifications que de regarder la piste. Alors que ces qualifications ont été unanimement condamnées par l’ensemble des pilotes et des directeurs d’écuries -les mêmes qui avaient applaudi l’idée pas même trois semaines auparavant.
Ce mercredi, les pilotes GPDA par la voix de leurs délégués Jenson Button, Sebastian Vettel et Alexander Wurz, ont adressé une lettre ouverte aux instances dirigeantes de la Formule 1. Ils y évoquaient leur tristesse à l’idée de voir leur sport s’effondrer à cause de la mauvaise gestion économique, les fans être de moins en moins nombreux, et surtout, critiquer le fait que la voix des pilotes n’est pas assez entendue.
Avec un cynisme exemplaire, la FOM (Formula One Management), diffuseur dictatorial (n’ayons pas peur des mots) de la Formule 1 a annoncé le jour même que la chaine payante Britannique Sky Sport F1 aura l’exclusivité de la diffusion directe de la Formule 1 en Grande-Bretagne – mère Patrie de la Formule 1- jusqu’en 2019. Un sondage effectué par le compte Twitter Motor Sport Magazine montre que 75% des interrogés préfèrent arrêter de regarder la Formule 1 plutôt que de payer un abonnement à Sky ou à une application. Bien sûr, parmi ces 75%, un certain nombre vont se tourner vers le streaming. En même temps, quitte à économiser 360£ sur un an, autant se payer un week-end à Silverstone.
Parce que oui, parlons-en des prix des places. Quand je dis à ma famille ou à mes amis le prix d’un ticket en admission générale (pas de tribune, accès libre pendant les 3 jours) en Europe qui tourne autour de 150€, je n’ai jamais eu aucun retour en me disant que j’ai de la chance de suivre un sport accessible. Combien de fans se sentent lésés parce qu’ils n’ont pas les moyens ni d’aller à une course, ni même maintenant de regarder les courses ?
La Formule 1 se transforme peu à peu en sport de riches pour les riches. Je vais citer ce cher Bernie Ecclestone, président de la FOM (et donc de la F1 par extension) qui dit qu’il n’a aucun intérêt à aller chercher les jeunes puisque ce ne sont pas eux qui vont aller s’acheter une Rolex (Rolex étant le sponsor officiel de la Formule 1). Un ami de Jacques Ségéla certainement. Alors oui c’est bien simple d’inviter des jolies filles dans les paddocks pour regarder des voitures rouler et boire du champagne en exhibant des bijoux hors de prix. Mais entre quelques ricos qui n’ont pas d’intérêt particulier pour la Formule 1, et des millions de fans dépensant moins chacun, je pense que Bernie devrait y réfléchir à deux fois.
Aujourd’hui, l’annulation du système de qualification à mort subite a été annulée pour le Grand Prix de Bahreïn, preuve du cynisme de la FIA vis-à-vis des pilotes de la GPDA. Comme dans la petite chanson, la Formule 1 d’aujourd’hui va « un pas en avant, trois pas en arrière. »